lunedì 11 novembre 2013

A propos de patriotisme


Je regardais cette semaine les nombreuses émissions télévisées consacrées à la Première Guerre Mondiale. C’est qu’en France, mes amis, nous nous préparons déjà à la célébration du centenaire de cette guerre, qui se fera l’année prochaine. On aurait pu fêter le centenaire de 1918, année de la signature de l’armistice et de la fin du calvaire, mais non, ce sera le centenaire de 1914, celui du déclenchement de la boucherie. Ceci sonne comme une promesse de nous la faire revivre dans le détail et je comprends donc que la guerre en soi est plus importante que la paix qui la suit. Les inventeurs de cette commémoration n’ont d’ailleurs rien trouvé de mieux que d’appeler ça le « Centenaire de la Première Guerre Mondiale » ; c’est neutre et ça ne veut surtout rien signifier.
Et moi, ça me pose un problème.

Je crains en effet que cette célébration ne soit qu’un amusement parmi tant d’autres, un produit marketing à forte valeur ajoutée. On nous annonce par exemple déjà une magnifique exposition de photos en 3D inédites, qui va faire le tour de la France : soldats hagards dans la boue des tranchées ou fauchés pendant l’assaut, blessés et mutilés entassés les uns sur les autres, cadavres pourrissant sur la neige maculée… D’un réalisme à couper le souffle ! Et tout le monde pourra en profiter !

Je trouve ça écoeurant. C’est du spectacle, un encouragement au voyeurisme qui tire profit de la soi-disant fascination de l’homme pour la souffrance et la mort, comme un film hollywoodien bien sanguinolent. J’imagine les discours convenus qui accompagneront les manifestations, les cérémonies, les conférences, les débats du centenaire, exaltant toujours les mêmes sentiments banals mais réputés sublimes -combat pour la liberté, élan patriotique, honneur national, gloire, héroïsme, sacrifice (et Dieu avec nous)-, sans que jamais soit désigné vraiment l’ennemi dont tout le monde a le nom au bord des lèvres et qui est en fait l’héroïque patriote d’en face, enfant de Dieu lui aussi. Enfin, on mettra l’horreur de la guerre sur le compte de la folie des hommes -hélas sans remède- et on promettra de ne plus recommencer, à moins bien sûr que la patrie soit à nouveau en danger, en quelque endroit de la planète que ce soit.

Mais à la vérité, il n’y a qu’une bonne manière de célébrer ce centenaire, c’est de dénoncer le nationalisme et le patriotisme comme les causes profondes et ultimes des guerres, parce que ce sont des sentiments fallacieux et nuisibles, profondément imprimés dans les esprits par un insidieux lavage de cerveaux répété de générations en générations. Tout comme les femmes voilées ou excisées imposent elles-mêmes à leurs filles la douloureuse loi qui les soumet à l’homme, les hommes qui ont souffert à la guerre sont parfois les plus acharnés à inculquer à leurs fils les valeurs qui les ont abrutis jusqu’à sublimer la tuerie.

Il faut rendre hommage, oui, mais à ceux qui sont morts comme des cons, avant l’âge, partis à l’assaut sous le feu des mitrailleuses, le sang chargé d’alcool à ne plus être capable de penser. Il faut rendre hommage à ceux qui ont été fusillés pour avoir refusé de sortir de la tranchée, à ceux qui ont été fusillés pour avoir déserté, à ceux qui ont été fusillés pour avoir pactisé avec l’ennemi, à ceux qui se sont laissé mourir de désespoir. Il faut rendre hommage aux pacifistes, aux réfractaires, aux amoureux de la vie… mais ça ne se fait pas, et c’est toujours aux généraux qu’on fait l’honneur de retenir leur nom.

Voici que me revient un souvenir. C’était au milieu des années soixante, j’avais douze ou treize ans. L’association des Infirmiers-Brancardiers-Sauveteurs de Volmerange était jumelée avec une section de la Croix-Rouge de la ville de Flensburg, dans le nord de l’Allemagne. Ma famille et la famille Engel étaient devenues amies. Nous nous recevions mutuellement, même en dehors des manifestations officielles. Cette année-là, Herr Engel avait amené en France son père qui avait fait la Première Guerre Mondiale, et la bataille de Verdun. Nous sommes allés avec lui à Verdun et là, après avoir vu les cimetières immenses, les horribles photos, le macabre ossuaire, les reconstitutions de batailles, le vieux monsieur s’est tout à coup effondré en larmes. Et il a raconté en sanglotant : « Je n’étais jamais revenu ici. Mais je me souviens de tout. Je me vois couché dans la tranchée avec les avions qui passent au-dessus de ma tête, les obus qui tombent tout autour. Je pense à la peur de mourir qui ne m’a pas quitté durant des jours et des jours. Je pense à tous les hommes que j’ai vus mourir autour de moi… »

Si on n’avait pas exalté le nationalisme allemand, ni le patriotisme français, les ouvriers, les paysans, les employés, allemands et français, n’auraient pas quitté leurs foyers pour se crever la panse à coups de baïonnette. Ils auraient dit aux politiciens bourgeois : « Allez donc la faire vous-mêmes, votre guerre ! » Parce que tandis que les pauvres « tombaient au champ d’honneur », la bourgeoisie, qui n’a pas de nationalité, s’est honteusement enrichie sur le dos des morts, d’un côté comme de l’autre, et ça a encore continué après la guerre comme c’était déjà le cas avant la guerre, pendant qu’ils la préparaient.

Pour qu’on n’oublie pas cette horreur, les monuments aux morts ont fleuri sur le territoire de France, la plupart malheureusement guerriers, dédiés au glorieux défenseur de la patrie. Mais il y en a aussi qui détonent, qui émeuvent, qui expriment un véritable désir de paix, comme ces statues de femmes en pleurs, les enfants accrochés à leurs jupes.
Et puis, il y a le monument aux morts de Volmerange qui porte les noms des gars d’ici disparus pendant la guerre de 14-18. Au-dessus d’eux, il n’est pas écrit « Morts pour la France » mais simplement « A nos morts » ; c’est parce qu’en 1914, ici, c’était le Deuxième Reich de Guillaume II, et que ces hommes-là sont donc morts pour l’Allemagne.

Malgré ça, nous n’avons pas tiré la moindre leçon du grand carnage et on a remis ça en 1940. Normal : on avait eu deux décennies pour cultiver le sentiment nationaliste qui, comme chacun se refuse à le voir, ne se construit que sur la haine de l’autre, notre voisin, notre semblable.

 C’est pourquoi je ne me lève plus pour écouter la Marseillaise. C’est pourquoi les drapeaux nationaux ne sont pour moi rien d’autre que des chiffons, comme le leurre qu’on utilise pour attraper les grenouilles. L’Europe avait ça de bon qu’elle devait, au moins dans son espace restreint, effacer les frontières pour nous unir dans une grande fraternité. Mais je constate chaque jour qu’à l’intérieur même de l’Europe nous avons toujours des ennemis : les Roumains qui nous volent, les Espagnols qui produisent leurs tomates au Maroc, les Grecs moribonds qui mendient pour notre fric, les Allemands qui assassinent nos économies, les Anglais qui jouent leur carte personnelle, les Luxembourgois (et d’autres) qui ne vivent bien que parce que leur pays est un paradis fiscal... Nous sommes en guerre perpétuelle, les travailleurs d’ici contre les travailleurs de là-bas. Et les victimes de cette guerre économique, ce sont les travailleurs eux-mêmes, les chômeurs et les 20% de la population qui chez nous vivent désormais sous le seuil de pauvreté. Je ne vous parle même pas des Indiens et des Chinois qui fabriquent nos tablettes numériques et nos téléphones portables, ni des enfants africains qui creusent la terre à la recherche du minerai qui rend cette merveilleuse technologie possible ; je ne vous parlerai pas de ces misérables et insignifiantes créatures qui meurent chaque jour au travail, parce vous savez déjà que ça existe.

Pendant ce temps-là, les bourgeois, d’un bout à l’autre de la planète, sont toujours là, pétant de santé, comme au 19ème siècle (celui que décrivaient Victor Hugo et Charles Dickens), et comme au 20ème (que décrivait Ignazio Silone dans Fontamara), ceux d’aujourd’hui étant les descendants de ceux-là ; ils se gavent, ils engraissent toujours plus, suçant comme des vampires la sueur du travail. Diviser pour régner, diviser pour gagner plus d’argent, c’est la devise du bourgeois. Dans ces conditions, il n’a surtout pas intérêt à ce que l’unité européenne se fasse. Rien n’a changé depuis 1914.

Dans ce contexte, ne trouvez-vous pas que l’idée de patrie n’est qu’un abominable leurre ? Ne pensez-vous pas qu’il serait temps d’éradiquer de nos esprits cette connerie qui risque de nous dresser demain, encore une fois, les uns contre les autres ? Faire reculer le sentiment national, voilà aussi le sens d’un jumelage, non ?

Finalement, je suis allé sur le site du centenaire de la guerre ( http://centenaire.org/fr ) et je dois reconnaître qu’il y a des choses intéressantes. Par exemple, ceci : http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/pays-belligerants/les-italiens-en-france-au-prisme-de-lengagement-volontaire-les

Voilà. J’espère des réactions.

Maintenant, je vais me préparer pour assister à la cérémonie de commémoration du 11 novembre 1918, jour de l’armistice. Tandis que résonnera la Marseillaise, je penserai à mes petites-filles qui auront peut-être la chance de vivre dans une Europe sans nations… en attendant le monde !

Richard Hormain

PS : Pour revenir sur les articles précédents, concernant l’immigration, vous pouvez regarder avec profit ce reportage ( http://pluzz.francetv.fr/videos/13h15_le_samedi.html ). Ca ne dure que 35 minutes ; n’en perdez pas une miette !

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